Un soir, en allant manger du bakso dans un petit warung typique, nous avons rencontré le fils de la vendeuse, Budii, qui très vite nous a parlé des plus beaux sites de son île et nous a posé de nombreuses questions. Budii a 17 ans et va encore à l’école, c’est pourquoi son niveau d’anglais nous a permis de bien nous comprendre et surtout d’échanger, à propos de la vie en France, la vie en Indonésie, l’école, la famille, des sujets qui finalement lient tous les hommes quel que soit le pays d’origine, et dont les différences aiguisent la curiosité. Dès le lendemain, nous sommes revenus manger du bakso chez lui et ce dernier nous a proposé de nous emmener voir une cascade dans la falaise. Là encore, pas de rapport d’argent entre nous, Budii tenait juste à nous montrer combien son île est belle et semblait désireux de passer du temps avec nous.
La cascade n’est mentionnée dans aucun guide et il est impossible de la trouver si l’on n’est pas natif de l’île, pourtant ce lieu est un des plus magiques que nous ayons visité. La cascade se trouve en bas de la falaise, entre la roche et la mer, et donne naissance à trois piscines naturelles d’eau douce. La vue est extraordinaire, on voit les vagues qui viennent se briser sur la falaise, et au-dessus de nos têtes, la roche humide de fines gouttelettes translucides, forme une voute qui nous sépare du ciel. La source qui se trouve ici alimente toute l’île en eau, des tuyaux amènent le précieux liquide à travers la roche jusqu’en haut de la falaise. Néanmoins, ce petit coin de paradis se mérite ; pour y accéder il faut emprunter un escalier vertigineux accroché à la falaise. Bien sûr n’allez pas imaginer un escalier régulier, solide, avec chaque soir des bons hommes qui viennent vérifier l’état des boulons, non l’escalier indonésien est rouillé, irrégulier, il manque des marches, certains morceaux sont cassés, d’autres bougent, des ouvriers vous bloquent le passage avec de gros tuyaux, et tout ce joyeux petit cocktail au-dessus du vide, autant dire que nous avons eu une bonne séance de sudation avant d’arriver dans les piscines naturelles. Malgré ces petits désagréments, si c’était à refaire, on y retournerait surement, car il s’agit d’un lieu vraiment exceptionnel. Il faut savoir que cette cascade est sacrée, le petit temple qui surplombe l’océan en témoigne, plusieurs fois par an, les hindous organisent des cérémonies. D’ailleurs, Budii qui pourtant est musulman, a effectué le rituel hindou avant de se mettre dans l’eau, en nous expliquant qu’il respectait les traditions hindouistes. Quelle belle leçon de tolérance dans un monde où les religions se radicalisent de plus en plus ! Sur Nusa Penida, hindous et musulmans cohabitent sans heurt et dans un état d’esprit pacifique, bien souvent l’appel à la prière du muezzin et la musique des temples s’emmêlent et forment un chœur. Budii nous avoue même que sa petite amie est hindoue et que cela ne pose aucun problème.
Après une remontée difficile, Budii nous a emmené dans un marché pour manger des satays, petites brochettes de poulet grillé accompagnées d’une sauce à l’arachide, ce sont d’ailleurs les plus savoureuses que nous ayons mangé ici. Notre discussion s’est vite orientée sur l’éducation, Budii nous a expliqué qu’il ne lui serait pas possible de poursuivre des études par manque de moyens, apparemment, rares sont ceux qui peuvent aller jusqu’à l’université. S’en suit l’inévitable question « et vous en France l’école est payante aussi ? » ; expliquer notre système de solidarité a été compliqué, Budii a surtout compris que l’école était gratuite et accessible pour la majorité des personnes jusqu’à un haut niveau. Sa surprise a été plus grande encore lorsqu’il nous a demandé si les soins médicaux coûtaient cher et que nous lui avons répondu que la plupart des soins sont payés par notre système de solidarité. Sa conclusion a été sans appel « it’s a good system ! », bien évidemment tout n’est pas aussi simple que Budii l’imagine et il est difficile de rentrer dans les détails, néanmoins on se rend compte de la chance que nous avons. Pour finir, Budii nous a invité chez lui, où nous avons parlé de nos familles respectives. Sa mère vend du bakso dans le warung tandis que son père le vend sur les routes. Il a été difficile de lui dire au revoir, Budii avait l’air déçu que l’on parte le lendemain, il voulait nous montrer d’autres choses encore. C’est particulier de vivre des moments forts, d’établir une communication, un lien, avec des gens qu’il est possible de ne jamais revoir, alors c’est déroutant de se dire adieux. Si on revient un jour à Nusa Penida, on retournera manger du bakso dans son warung, c’est sûr !